Vimala Pons en studio
Le Masque et le Mensonge - Enjeux artistiques
Une thalasso cosmopolite.
Une chambre anonyme.
Un cadavre.
Et sept témoins qui sont autant de suspects.
Bref : tous les ingrédients d’un bon polar.
Mais ce serait mal connaître Vimala Pons : revisitant le dispositif fameux de Rashomon (film d’Akira Kurosawa réalisé en 1950), l’inclassable artiste équilibriste brouille les pistes, sème le trouble et (se) joue d’un vrai/faux réel/artifice – et, tout bien considéré, n’est-ce pas là le métier premier de l’artiste ? Au reste, dans quelle mesure nos mensonges ne sont-ils pas constitutifs de notre personnalité ? Comment, alors, les déconstruire sans détruire du même coup notre identité ?
Le Périmètre de Denver est-il d’ailleurs vraiment, comme annoncé par la communication du spectacle, un concept de psychologie désignant « un espace d’incertitude crée par un mensonge » ? Le « Périmètre de Denver » en serait-il un ?
Passons… (enfin… passons…)
Le réel, la « chose » physique la plus concrète (et parfois très lourde), est pourtant le point de départ de l’écriture du spectacle.
« Dans cette création, tout est parti des objets – ces objets que je porte sur la tête : une pierre, une malle, une voiture. Et comme je n’arrivais pas à construire cette voiture, je me suis surprise à écrire une chanson sur quelqu’un qui prend soin de sa voiture. Presque trop. En sachant pertinemment qu’elle ne le mènera jamais nulle part. C’est ainsi que j’ai composé de la musique pour ces objets, comme si c’étaient des personnages d’opéra ayant chacun son thème. Et cela a porté toute l’écriture du spectacle. »
Formée au piano puis à la guitare classique dans une famille intensément mélomane qui lui fait découvrir le grand répertoire classique dans toute sa variété esthétique et interprétative, Vimala Pons commence donc l’écriture du Périmètre de Denver par celle de la musique – ou du moins d’une maquette son. « C’est une manière de planter le décor, un décor sonore, qui accueillera ensuite le texte. Marguerite Duras disait : « Le cinéma, c’est le son. » C’est la même chose pour ce spectacle. Et puis Kurosawa disait aussi, je crois, que la musique de film est une musique à laquelle il manque toujours quelque chose. Pour moi, cette maquette m’aide à trouver une musicalité de la langue et à inscrire mes chorégraphies. »
Autre aspect de l’écriture sonore que Vimala Pons explore dans le spectacle : les masques vocaux. Incarnant tour à tour les sept témoins/suspects, d’âge et de corpulence variés, la comédienne a voulu pour chacun une identité vocale forte : « Je travaille avec des prothèses de visage – de celles que portent les cascadeurs de cinéma ou les braqueurs de banque – adaptées à mes besoins. Le résultat est visuellement assez bluffant. Je voulais faire un travail équivalent sur ma voix, notamment sur les pitchs (registres), et je voulais que le résultat paraisse naturel et crédible. »
Masquer la voix ! - Enjeux technologiques
« Pour moi, l’Ircam restait associée à la figure de Boulez : c’était comme une société secrète du son, nimbée de mystères. »
Vimala Pons commence par faire ses expériences seule, dans son coin. 6 mois d’exploration de divers plug-in et autres vocoder en solo : « Je me suis beaucoup amusée, des heures durant devant l’ordinateur, à tester pour comprendre comment tout cela pouvait marcher. Quand l’identité sonore de mes personnages s’est éclaircie, j’en ai discuté avec Théo Ernandorena (ingénieur du son et régisseur du Théâtre des Amandiers) et Anaëlle Marsollier, qui m’a aidé à écrire le son du spectacle et en assure la régie. Anaëlle connaissait déjà Robin Meier, réalisateur en informatique musicale de l’Ircam, et, la création du spectacle approchant, j’ai éprouvé le besoin de passer le relais. Ce d’autant plus que le logiciel que j’utilisais jusque-là était assez rudimentaire. Robin était vraiment la personne parfaite pour ce travail. Il parle couramment cinq langues : c’est un vrai génie question accents ! Il m’a beaucoup aidé sur ce point-là. »
« Les masques vocaux ne sont pas seulement technologiques, travailler la prosodie et les accents permet aussi de trouver une autre musicalité de la langue : on trouve toute l’Europe dans l’hôtel du Périmètre de Denver ! Je me suis ainsi rendu compte que c’était bien souvent à moi de jouer avec ma voix, à la manière d’une chorégraphie musicale de la gorge. J’ai une oreillette pendant le spectacle et la régie m’aide considérablement à ne pas perdre les accents, à garder la ligne. »
À l’Ircam, Vimala découvre l’immensité des possibilités offertes par les technologies qui y sont développées : la recréation d’une voix, par exemple, ou le transfert de timbre d’une voix sur une autre – mais ces solutions s’avèrent insatisfaisantes au plateau, notamment par manque de temps de production.
Mais d’autres solutions répondent parfaitement aux besoins : SuperVP, par exemple, qui permet dilatations et compressions temporelles, transpositions avec ou sans préservation du timbre et tant d’autres choses… La difficulté, dans le cadre du spectacle, est que tous ces traitements doivent se faire en direct – ce qui, pour obtenir une haute qualité, requiert une grande puissance computationnelle. Même si d’autres passages, en playback, permettent d’autres transformations encore.
« Robin a aussi mis à ma disposition un vocoder de chœur – très amusant et très beau. Ensemble, nous avons aussi utilisé Melodyne. Parfois, le résultat est assez « crade », mais nous l’avons gardé car cela nous semblait très intéressant artistiquement. Pendant mes sessions à l’Ircam, je me suis aperçue que les chercheurs cherchent parfois trop la perfection alors que l’imperfection est dans certains cas plus riche, surtout au plateau, qui est un contexte très différent de celui du studio, ou même de la salle de concert. Il faut savoir se décomplexer, tenir la ligne de ses choix artistiques, et malmener le son en live. »
© L.Gangloff