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Rémi Fox & Jérôme Nika 2/4 : poursuivre 20 ans de recherche

Le blog des résidences artistiques

Porté par le saxophoniste Rémi Fox et le chercheur et musicien Jérôme Nika, le projet « Hippocampe artificiel » est la continuation de près de 20 années de recherche de l’équipe Représentations Musicales, sous la férule de Gérard Assayag. Rapide aperçu historique.

Le projet « Hippocampe artificiel » s’appuie évidemment d’abord sur le duo « C’est pour ça », constitué de Rémi Fox et Jérôme Nika, mais aussi et surtout sur un environnement logiciel en constante évolution : Dicy2. Un environnement sur lequel planche Jérôme Nika et qui s’appuie en réalité sur une dynamique de recherche de près de 20 ans – laquelle a produit au fil des ans de nombreux avatars, ou incarnations, comme on voudra.


Le saxophoniste Rémi Fox et le chercheur-musicien Jérôme Nika, C’est pour ça, Festival Improtech Paris-Athènes 2019, Centre culturel Onassis, Grèce, 2019

« Ce sont différents instruments ou agents musicaux, précise Jérôme Nika. Chacun est une déclinaison spécifique, dans le cadre d’un projet plus vaste de recherche musicale visant à chercher comment interagir avec une “mémoire” musicale dans différents contextes. Dicy2 est ainsi en réalité le titre provisoire du projet de recherche qui a donné naissance à cet instrument ! Si j’avais su que le nom resterait… »

Chronologiquement, le premier avatar 1 produit dans le cadre de cette recherche est né grâce à Gérard Assayag, voilà une vingtaine d’années. L’objectif de l’équipe Représentations Musicales est alors de modéliser une mémoire musicale en analysant ses récurrences internes, puis de laisser la machine improviser en « s’y promenant de manière non linéaire et facétieuse, pour créer un matériau non seulement nouveau, mais pertinent du point de vue des perceptions d’un auditeur : il s’agissait alors de privilégier une forme de continuité dans le discours produit, résume Jérôme Nika ».

Ce premier prototype donne déjà de beaux résultats mais les chercheurs restent sur leur faim : ils aimeraient, d’une part que la machine puisse également écouter en direct un musicien et réagisse à ce que celui-ci propose, et, d’autre part, élaborer des outils de contrôle compositionnel du discours produit – à ce moment-là de son histoire, l’outil en question n’est doté que de contrôles de bas niveau, du type « Joue » ou « Ne joue pas », « Nourris-toi de cette partie de ta mémoire  », ou «  de cette autre partie ».

Exemple de patch tutoriel utilisant les objets de la librairie : 1 agent embarquant un modèle appris  sur l’analyse automatique d’un fichier audio, un module de requêtes manuelles et requêtes provenant d’une  écoute réactive d’un flux audio analysé en temps réel, un module de restitution audio basé sur le moteur  CataRT (exemple issu de l’utilisation de la librairie Dicy2 par le saxophoniste Rémi Fox lors d’une performance à l’Académie de Darmstadt, juillet 2018).

Si ce premier prototype va continuer à progresser, et intégrera de nouvelles fonctionnalités au fil du temps, deux autres sont lancés en parallèle. L’un2  pour développer une écoute réactive à l’environnement, par le biais d’une analyse en temps réel d’un musicien qui influe sur la manière dont la machine se promène dans sa mémoire musicale. L’autre3  pour pouvoir planifier l’improvisation de la machine : « L’idée, dit Jérôme Nika, est de demander à la machine de produire un discours qui suivra par exemple un profil audio prédéterminé, ou une évolution harmonique. On entre déjà dans une forme de processus de composition. »

« Dicy2 est la dernière mouture de ces différents projets de recherche : il ne remplace nullement les précédents, mais creuse le sujet dans une autre direction, qui lui est propre, tout en en partageant les mêmes bases théoriques. On sait désormais modéliser une mémoire musicale, on sait réagir à un musicien, on sait suivre un scénario. Il s’agit donc de réconcilier les deux approches en louvoyant entre les deux, dans une sorte de continuum : stimuler une mémoire via l’analyse du jeu d’un musicien, mais aussi selon une structure compositionnelle, à l’aide de nombreux descripteurs. »

« L’envie pour Rémi et moi-même, insiste le chercheur, est avant tout de faire de la musique ensemble, en s’affranchissant du côté démonstratif des possibilités de ces nouvelles technologies, et en les utilisant pour ce qu’elles sont : des instruments. Quelles voix musicales peut-on faire naître en interagissant ainsi ? Je ne pense pas que la musique produite soit véritablement « nouvelle », mais les pratiques de jeu, oui, certainement. Je me souviens par exemple d’une récente session d’improvisation dans le cadre du Festival Ars Electronica en Autriche. Rémi jouait quelque chose de très mélodique et harmonique et j’ai voulu le suivre : je me suis engouffré à 100 % dans ce qu’il proposait, j’ai configuré mon instrument/machine pour avoir une écoute très mélodique et harmonique de ce que Rémi faisait, et pour qu’il produise à son tour un matériau mélodique et harmonique à l’excès. Je ne sais pourquoi, peut-être parce qu’il était parti sur autre chose, ou tout simplement par contradiction, Rémi s’est alors mis à jouer de manière très hachée et abrupte, avec des slaps, des coups de langue, des bruits… et la machine a eu une réaction tout à fait inattendue, avec laquelle il a fallu jouer. »

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