Recherche
Actualité

Entretien avec Brigitte d’Andréa Novel

Directrice de l’Unité Mixte de Recherche « Sciences et Technologies de la Musique et du Son » (Ircam-CNRS-Sorbonne Université-Ministère de la Cuture / UMR 9912)

Ingénieure et directrice de recherche en automatique, Brigitte d’Andréa-Novel était professeur à MINES ParisTech depuis 1992 et responsable de l’équipe « Systèmes de Contrôle Avancés » au sein du centre de Robotique de l’école.

En janvier 2018, elle est nommée directrice de l’UMR « Sciences et Technologies de la Musique et du Son » (Ircam-CNRS-Sorbonne Université-Ministère de la Culture /UMR 9912), ainsi que professeur à Sorbonne Université, chargée de cours en Contrôle et Robotique, une discipline qui trouve des applications dans le domaine du contrôle actif des instruments de musique. Brigitte d’Andréa-Novel est aussi pianiste de haut niveau, passionnée de pédagogie.

Brigitte d’Andréa-Novel, vous êtes une chercheuse et directrice de recherche en automatique, internationalement reconnue pour vos travaux en commande non linéaire – pour lesquels vous avez été récompensée de la médaille de bronze du CNRS, en 1989. Pouvez-vous nous en dire plus sur l’objet de vos recherches ?
Mes thèmes de recherche ont porté sur la théorie du contrôle non linéaire et les applications aux systèmes mécaniques sous-actionnés, comme les ponts roulants robotisés, ainsi que sur le contrôle automobile et les applications aux Systèmes de Transport Intelligents. Je me suis également intéressée à la stabilisation des systèmes hybrides couplant équations différentielles ordinaires et équations aux dérivées partielles, avec des applications au contrôle frontière de systèmes mécaniques flexibles, au contrôle de canaux d’irrigation ainsi qu’à la modélisation, à l’estimation et au contrôle des instruments de musique à vent.

Musicienne, vous vous attachez à concilier science et musique et avez été amenée à collaborer avec les équipes de l’Ircam au long de votre parcours.
Dès mon plus jeune âge, j’ai étudié le piano, l’harmonie et l’analyse et je pratique toujours avec bonheur la musique de chambre aujourd’hui.   Je dois bien avouer qu’il m’a été très difficile de choisir, comme on est si souvent obligé de le faire dans notre pays, entre « mathématiques et musique », tant j’avais le sentiment que ces deux voies étaient indissociables et relevaient d’une même pratique intellectuelle. Heureusement, les esprits évoluent, et l’on peut se réjouir par exemple de l’existence du parcours « Sciences et Musicologie » de Sorbonne Université qui permet à des bacheliers scientifiques pouvant justifier d’un bon niveau de pratique musicale de poursuivre un bi-cursus jusqu’en licence.

À l’École des Mines de Paris, où de nombreux étudiants sont musiciens et où j’organise d’ailleurs le festival « Musiques aux Mines », j’ai créé un enseignement pluridisciplinaire « Acoustique-Informatique-MusiquE » (AIME). L’idée était de présenter un large panorama des outils scientifiques dédiés à la musique : des liens entre mathématiques, harmonie et composition, aux outils logiciels et matériels associés à la norme MIDI, en passant par les méthodes de traitement du signal pour l'analyse et la synthèse des sons musicaux, et d'automatique pour le contrôle d'instruments réels ou virtuels modélisés par les lois de l'acoustique. De ce cours est issu un ouvrage* écrit avec Benoît Fabre (acousticien au LAM, SU) et Pierre Jouvelot (informaticien à MINES ParisTech) qui présente les travaux autour de la synthèse par modèles physiques, l’estimation et le contrôle des instruments à vent. J’ai mené une partie de ces recherches entre 2005 et 2008 lors du projet ANR CONSONNES (Contrôle des Sons instrumentaux Naturels et Synthétiques), coordonné par Jean Kergomard (LMA, Marseille). Ces travaux, étendant les résultats obtenus pour les EDP hyperboliques en mécanique ou hydraulique, aux EDP acoustiques, ont été réalisés en collaboration avec Thomas Hélie (STMS, CNRS-Ircam), Benoît Fabre (LAM, SU) et Jean-Michel Coron (Laboratoire Jacques-Louis Lions, SU).

Mais mes premières collaborations avec l’Ircam remontent aux années 1992. Avec des chercheurs de l’équipe Analyse et synthèse des sons nous avions en effet collaboré sur le contrôle de l’équation des ondes avec dérivées fractionnaires en temps, modélisant les effets de pertes visco-thermiques dans les guides d’ondes. Sur le plan applicatif, ces recherches ont pour objectif de développer des modèles mathématiques issus de la physique pour représenter avec précision la dynamique d’instruments à vent, à la fois pour une meilleure analyse du comportement acoustique et dans un but de contrôle automatique en temps réel.

Les bureaux et laboratoires de recherche de l'UMR, Ircam © Philippe Barbosa

Quels sont vos projets pour l’unité mixte de recherche Sciences et Technologies de la Musique et du Son ?
Comme dans le cas de nombreux laboratoires nationaux, nous nous devons de diversifier nos sources de financement, suite aux diminutions de crédits provenant de l’ANR. Les chercheurs de l’Ircam sont déjà récompensés par très bons taux de réussite dans les appels à projets européens ; je souhaite les encourager dans ce mouvement. Le dépôt d’ERC et la participation à des projets de chaires industrielles ou de mécénat serait également légitime étant donné la qualité des recherches menées dans le laboratoire.

J’ai également la volonté de consolider les actions d’ouverture du laboratoire vers le public non spécialiste en tenant compte de l’évolution des pratiques musicales, notamment en composition, qui s’orientent vers une démocratisation des savoirs et des technologies. Aujourd’hui, avec le développement des standards (MIDI, MP3 …) et des logiciels de synthèse, de séquencement et de composition, chacun peut construire son « home studio ». L’Ircam doit anticiper ce bouleversement des formes de créativité artistique et plus généralement renforcer les liens entre chercheurs et compositeurs.

À côté des aspects logiciels, il faut aussi prendre en considération la démocratisation des technologies issues des dispositifs de captation des mouvements, qui permettent de développer des nouveaux SmartInstruments, pour certains à coût modéré. Il est donc essentiel de poursuivre la stratégie d’innovation en encourageant le dépôt de brevets auprès des chercheurs, en s’appuyant notamment sur le CNRS et la DIRE (Direction de l’Innovation et des Relations avec les Entreprises), ainsi que la création de start-up issues de cette valorisation telles que Antescofo créée par Arshia Cont autour du logiciel de suivi de partition et de programmation synchrone pour la composition musicale, ou de SYOS créée par Pauline Eveno pour la fabrication de becs d’instruments à vent à partir de technologies d’impression 3D.

Je crois qu’il est important également de « mixer » la musique avec les autres médias du spectacle vivant : théâtre, images, cinéma… Cela incite à investiguer les problématiques de la vision artificielle et du traitement d’images à base de caméras 3D par exemple, et plus généralement de la réalité virtuelle et augmentée.  Il serait donc intéressant pour l’UMR STMS de se rapprocher de laboratoires spécialisés dans le domaine, comme le centre de robotique de MINES ParisTech ou l’ISIR de SU. Ce thème pourrait en effet enrichir l’analyse de scènes en temps réel par fusion de données, permettant ainsi une meilleure interprétation des gestes de musiciens devant déclencher des sons électroniques, mais aussi une meilleure adéquation musique/image.

Et vos projets en tant que chercheuse ? Car vous intégrez également l’équipe S3AM de l’Ircam (Systèmes et Signaux Sonores : Audio/Acoustique, instruMents)…
Étant donné ma formation d’automaticienne et la recherche que j’ai développée depuis des années au centre de robotique de MINES ParisTech, je suis de plus en plus persuadée de l’importance de la discipline « Automatique » pour les recherches liées à la musique et aux instruments. Cette idée s’est en particulier affirmée durant ma participation au projet CONSONNES – le mot Contrôle est d’ailleurs le premier de l’acronyme ! Un instrument de musique est en effet un système mécanique qu’on peut équiper de capteurs et d’actionneurs, et auquel les théories de l’automatique s’appliquent pour répondre à différents objectifs : modéliser le système, estimer les paramètres, inverser le système, développer des observateurs et contrôler l’instrument. Cela peut être fait sans l’instrumentiste : on a alors un « robot musicien » (cf. les projets mécatroniques développés à MINES ParisTech) ou en relation avec lui, dans une optique de collaboration « homme-machine » grâce aux technologies de capture, reconnaissance, apprentissage et suivi de mouvements. C’est dans ce contexte du « contrôle actif d’instrument » que je compte réaliser ma recherche, sur le plan théorique, mais aussi applicatif en tirant parti des travaux de l’équipe sur la lutherie augmentée et l’utilisation des systèmes capteurs/actionneurs COALA développés par la start-up HyVibe créée par Adrien Mamou-Mani et issue des travaux de recherche de l’Ircam.

* éditions Presses des Mines, 2005.

Photo : Système capteurs/actionneurs COALA © Philippe Barbosa