Musique et Maladie
1. Le discours médical a souvent abordé le thème de l’usage médical de la musique :
- musique et grossesse, Hippocrate associant déjà embryologie et musique dans Du régime. Quelle musique la femme gravide peut-elle écouter pour le bien-être du fœtus et le sien ?
- musique et petite enfance. Quel soin musical prodiguer à l’enfant, s’il est malade, s’il ne peut se retenir d’uriner au lit, s’il peine à s’endormir, s’il est inquiet, s’il est agité... ?
- musique et alimentation. Qu’écouter pour faciliter la digestion de tel ou tel mets ?
- musique et bain, pour le bien-être – les instituts de beauté actuels n’y échappent pas.
- musique et eros, les médecins de l’école de Montpellier considérant que la musique disposerait à l’activité sexuelle et guérirait l’impuissance. Ailleurs, elle calme les ardeurs trop pressantes, comme chez Athanasius Kircher, où elle sert à reconduire les érotomanes à la tempérance.
- la musique contre l’agitation et la perte du sommeil – ce que l’école pythagoricienne pratiquait déjà, par des chants et mélodies assurant un sommeil calme, aux rêves peu nombreux.
- la musique comme remède contre la maladie ou soutien de la thérapie...
Ce corpus ouvre un vaste champ de pensée entre histoire de la musique et histoire des sciences.
2. Le second axe, plus courant, est celui de la pathographie, visant à décrire les conséquences de la maladie sur la biographie, la pratique et l’esthétique d’un musicien. En un saisissant renversement datant de l’âge moderne, ce musicien, autrefois sorte d’Orphée, exprime, expose son pathos, et devient malade, de plus en plus gravement: Bach, Haendel, Mozart, Beethoven, Schubert, Mendelssohn, Chopin, Schumann, Puccini, Ravel, Bartók, parmi d’autres, permettent d’aborder la chirurgie de l’œil, des tableaux cliniques complexes, deux des grands maux du xixe siècle, la syphilis et la tuberculose, une maladie héréditaire, des troubles psychiatriques, le cancer ou le Sida, mais aussi des pathologies construites comme spécifiquement musicales (amusies, hypermusies, « vers auditifs »), ainsi que l’histoire de l’hygiène, de la sexualité, de la pharmacologie, de l’hôpital..., en prêtant attention aux mutations du regard médical.
3. Il s’agit enfin d’étudier comment des œuvres musicales reflètent des pathologies, mentales ou somatiques. Il y a, bien sûr, le cas de musiciens psychotiques, mais aussi les principes d’écriture musicale qui dénotent la psychose à travers les siècles. Il convient également, dans ce contexte, d’étudier les disciplines médicales, en mesurant, par exemple, l’histoire de la pédiatrie à l’aune de l’enfance en musique, l’histoire de la cardiologie à celle du rythme, ou l’histoire de la pneumologie à celle du souffle, en rapportant les maladies aux discours et représentations musicaux, notamment dans le domaine, littéraire et scénique, de l’opéra.
Équipe Ircam : Analyse des pratiques musicales