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Jean-Etienne Sotty : L’accordéon augmenté

Le blog des résidences artistiques

« Accordez, accordez / accordez donc / L’accordéon / en microtons » : Gainsbourg devrait changer les paroles de sa chanson, à présent que Jean-Étienne Sotty est passé par là. L’accordéoniste a en effet « augmenté » son instrument suite à la résidence en recherche artistique effectuée ces derniers mois à l’Ircam. Augmenté comment ? C’est ce que l’on va voir.

Genèse d’un accordéon

Tout commence en 2015, lorsque les deux accordéonistes Fanny Vicens et Jean-Étienne Sotty ont l’idée de faire grandir leur instrument, aussi bien en suscitant un nouveau répertoire et en recherchant de nouveaux modes de jeu qu’en faisant évoluer sa facture même. « Nous cherchions depuis longtemps à obtenir de nouvelles sonorités avec l’accordéon, un peu à l’instar du piano préparé, raconte Jean-Étienne Sotty. Nous connaissions les types d’effets instrumentaux que l’on obtient avec des instruments à cordes ou à vent, comme les harmoniques artificielles ou les microintervalles. Nous étions également familiers de l’apport, timbral plus qu’harmonique, des quarts de ton dans la musique de Gérard Grisey. » Lequel Grisey, soit dit en passant, était lui-même accordéoniste de formation.

Une première étape est franchie avec la mise au point de l’accordéon microtonal XAMP (pour eXtended Accordion and Music Project), en 2016, avec la complicité du luthier Philippe Imbert : reprenant la structure de l’accordéon classique, c’est un instrument totalement acoustique, mais dont une partie des anches est accordée de manière à pouvoir jouer des quarts de ton, tout en conservant l’entièreté de l’ambitus : « En restant attachés à la nature profonde de notre instrument, nous avons trouvé un système qui a permis son renouveau timbral », résume Jean-Étienne Sotty.

Dans le même temps, la deuxième étape est déjà en germe : invités à de nombreuses reprises à jouer avec électronique, notamment pour des étudiants du Cursus de l’Ircam, les deux accordéonistes se tournent naturellement vers l’informatique musicale, pour assouvir leur quête de nouvelles sonorités. D’où l’idée d’une résidence en recherche artistique à l’Ircam, autour du principe d’un accordéon hybride.

« Mais le projet, dès sa première formulation et jusque dans son intitulé, propose de dépasser la simple idée d’alliage : nous nous proposons de rechercher une forme de symbiose entre instrument et électronique. En effet, ma curiosité pour le potentiel sonore de l’électronique se double parfois d’une petite appréhension : celle d’un poids scénique excessif du dispositif électronique, susceptible d’étouffer la présence humaine de l’interprète. Je voulais donc trouver une formule élaborée autour de l’instrument : garder la pleine maîtrise du jeu instrumental, et assurer une primauté scénique à l’instrument et à l’instrumentiste, en y incorporant la fertilité de l’électronique. »


Photos du projet dans les studios de l'Ircam

Tout part de l’instrument

L’un des premiers enjeux de cette résidence a été pour Jean-Étienne Sotty une « mise à niveau » quant aux avancées technologiques et enjeux des outils d’informatique musicale, afin d’être en mesure d’échanger avec les membres des diverses équipes de recherche de l’Ircam impliquées dans le projet — citons notamment Arnaud Recher et Emmanuel Flety pour la fabrication matérielle et électronique (fixation des haut-parleurs dans l’instrument ainsi que des circuits et modules de contrôle pour jouer l’instrument), Simone Conforti pour la partie informatique, et Robert Piéchaud qui a supervisé la résidence. Un véritable effort collaboratif auquel se sont joints l’incontournable Philippe Imbert, pour les interventions directes dans l’instrument, ainsi que Fanny Vicens, en guise de cobaye, et quelques compositeurs. Par la suite, toutes les recherches et tous les ajouts effectués sur l’instrument acoustique se sont faits selon une règle d’or, la règle de proximité :

« tout doit puiser sa source dans l’instrument lui-même. C’est ainsi que les haut-parleurs ont été choisis en fonction de l’ambitus de l’accordéon, qu’ils ont été placés dans l’instrument selon une logique proche de celle des anches, que la sélection des haut-parleurs se fait par des boutons de registres électroniques, et ainsi de suite. »

Le résultat du travail est finalement assez simple, du moins du point de vue structurel : l’accordéon hybride est un accordéon microtonal XAMP qui embarque deux paires de petits haut-parleurs, donnant à l’instrument la capacité de diffuser du son électronique. Quatre haut-parleurs que Simone Conforti a littéralement « accordés », à partir de mesures précises de l’accordéon, réalisées en chambre anéchoïque — conférant à l’instrument augmenté une qualité sonore « très subtile », dixit Jean-Étienne Sotty.

L’accordéon surprise

Malgré tout, et quand bien même le nouvel instrument augmenté a été pensé de cette manière dès l’origine, la surprise est au rendez-vous lorsque tout est enfin fonctionnel.

« L’électronique embarquée permet véritablement de transformer l’instrument en un appareil de diffusion. Entendre un enregistrement de voix, diffusé depuis mon instrument, a été un choc : ce que j’entendais était coloré par l’instrument, provenait de l’instrument… l’instrument s’était émancipé de l’instrumentiste. J’ai été fasciné de constater à quel point ma présence d’instrumentiste n’est alors plus tant dans le jeu instrumental, mais dans l’écriture, dans la création de cet objet. C’est comme si l’accordéon avait muté en une œuvre fixe, aux confins de l’art sonore et des arts plastiques. »

Ce qui n’empêche pas l’instrument d’être vécu comme un tout par son géniteur :

« L’électronique n’est plus une partie musicale autre, elle est véritablement issue de mon instrument, je peux d’ailleurs la modifier, la teinter des gestes de mon instrument. D’autre part, le système électronique lui confère un nouveau type de mémoire : la mémoire informatique. Ce travail de collecte représentera à l’avenir une nouvelle partie de mon travail d’instrumentiste, et je suis impatient de voir ce qu’un tel travail révèlera de cette nouvelle pratique hybride, de même que de voir comment les compositeurs s’en empareront ainsi que de son potentiel scénique ».

Avec, en perspective, un grand chamboulement des perceptions du public.