Réfractions et réflexions — Modulation 8
La bouche (« the mouth » en anglais) est le seuil entre deux mondes : l’intérieur et l’extérieur. Il y a cette voix intérieure qui anime chacun de nous – comme un monologue intérieur, une voix off, qui narre inlassablement, refoulée et cachée sous la surface. Et puis il y a la voix que nous projetons dans le monde – articulations momentanées, discours éloquents ou murmure incohérent et bafouillé. Cette voix sonore est vulnérable, d’une extrême fragilité – un fragment de nous exposé et projeté à l’extérieur de nous, dans l’abysse. Et il y a un chiasme entre le dedans et le dehors : une dichotomie entre voix intime et voix publique, entre notre monologue interne secret et la voix que l’on envoie dans le monde et qui est entendue. Et la bouche est ce seuil, incarnant comme un purgatoire. La pièce de Rebecca Saunders interroge : quelle est cette voix intime, qu’y a-t-il là de refoulé, de retenu, de coulant sous la surface ? Et que peut alors être dit, si on peut dire quoi que ce soit ?
Rapides Diaprés, L’intention est ici d’amplifier la présence vocale en la répliquant dans la partie électronique, créant ainsi une myriade d’avatars qui ne permettent plus de distinguer clairement ce qui appartient au réel de ce qui appartient au songe. Une sorte de dialogue dans l’espace, mais surtout dans le temps, où les syllabes reviennent et se répètent presque jusqu’à l’infini, en perdant ainsi leur substrat au gré d’accélérations et décélérations incessantes au cœur d’un entrelacs naissant. En résulte un dédale de textures phonétiques dont la pierre angulaire est en définitive la perte de sens. Dès lors, les espaces sémantiques traversés deviennent incertains et les indices indécis égarés çà et là ne sont que des mirages émergents d’une lente métamorphose.
Tirer, casser, s’étirer, s’écrouler. Heave est un travail qui questionne les frontières entre la matière ; entre les peaux. Le texte raconte l’histoire de la croissance : dans et hors de la terre ; dans son propre corps et dans sa mémoire. Il raconte également l’histoire d’une séparation : d’un être cher ; d’un ensemble interconnecté. C’est à travers cette juxtaposition de l’expérience humaine et non humaine, du visible, de l’invisible et du magique que Heave s’efforce de créer un monde animé.
Juliet Fraser soprano
Alexis Baskind, Adrien Trybucki Réalisation informatique musicale Ircam
Adrien Trybucki Rapides Diaprés
Rebecca Saunders The Mouth
Lawrence Dunn While we are both
Sivan Eldar Heave
- Rebecca Saunders © Astrid Ackermann
- Sivan Eldar © Léa Girardin
- Juliet Fraser © Dimitri Djuric